Note : ★★★★☆
Un huis clos glacial au cœur de la guerre froide
1967, Groenland. Trois soldats piégés dans un incendie meurtrier au cœur d’une base militaire secrète enfouie sous la glace. Un seul survivant, Connor, gravement brûlé, mutique et amnésique. Pour comprendre ce qu’il s’est passé, la CIA dépêche Jack Miller, un psychiatre marqué par ses propres démons. Ce n’est pas le début d’un roman d’action effréné, mais celui d’un thriller psychologique au suspense tendu, posé entre les murs glacés d’un bunker et les non-dits d’un homme traumatisé.
Inspiré du véritable “Project Iceworm”, plan militaire secret imaginé par les États-Unis pour dissimuler des missiles nucléaires sous la calotte glaciaire, le roman de Simon Mockler repose sur une idée aussi folle que fascinante. Il y a dans cette base enterrée une ambiance de science-fiction paranoïaque, à la croisée entre The Thing et Shutter Island, où le froid n’est pas seulement physique, mais émotionnel.
Une atmosphère saisissante et immersive
Dès les premières pages, on ressent le poids du décor. Les tunnels métalliques, l’air saturé d’électricité statique, les couloirs où chaque pas résonne… L’auteur crée une atmosphère anxiogène, presque claustrophobique, qui participe à la montée en tension. Tout est lent, resserré, tendu. On est loin des scènes d’action spectaculaires : ici, le danger est plus psychologique, plus insidieux. Et c’est justement ce qui fait la force du roman.
Les dialogues entre le psychiatre et Connor sont au cœur du récit. Il faut être attentif, déchiffrer les silences, lire entre les lignes. On avance à tâtons, à mesure que les souvenirs refont surface, que la vérité se reconstruit. L’auteur réussit ce pari difficile : tenir le lecteur en haleine tout en gardant un rythme posé, presque étouffé.
Entre vérité historique et fiction tendue
Ce qui rend Projet Iceworm particulièrement captivant, c’est la manière dont Simon Mockler s’appuie sur des faits réels. Le projet militaire américain, longtemps classé secret défense, a bel et bien existé. Mais ici, il devient toile de fond d’un drame humain plus intime. Le roman ne cherche pas à faire de grandes révélations géopolitiques, mais il questionne ce que ces grandes machinations font aux hommes qu’elles impliquent.
La mémoire, la culpabilité, la loyauté, le mensonge : autant de thèmes que l’auteur explore avec justesse et sobriété. Les flashbacks sont rares mais puissants, les indices savamment distillés, et le suspense ne repose jamais sur des effets faciles. Tout est dans la tension sourde, dans l’ambiguïté permanente, dans l’impossibilité de faire pleinement confiance à ce que l’on voit – ou croit comprendre.
Une lecture glaciale et captivante
Projet Iceworm n’est pas un roman qui se lit d’une traite dans un transat au soleil. Il demande de l’attention, une certaine patience, mais il récompense largement le lecteur par son intensité, son originalité et sa précision. Le style est efficace sans être plat, avec une vraie rigueur dans l’écriture et un sens du détail qui rend le décor aussi réel que glaçant.
On ressort de ce livre avec la sensation d’avoir vécu un huis clos mental, une plongée dans les méandres de la mémoire, et une exploration rare de ce que la guerre froide a pu produire de plus absurde, de plus froid, et de plus profondément humain.
Verdict
Simon Mockler livre ici un thriller subtil et oppressant, à la fois documentaire et romanesque, glacial et brûlant de tension intérieure. Projet Iceworm est un roman qui marque, et qui prouve qu’il y a encore des manières nouvelles de parler d’espionnage, de guerre et de mémoire. Une très belle surprise.