Note : ★★★★☆
Une intrigue tissée à quatre voix
Avec Meurs, mon ange, Clarence Pitz nous plonge dans un thriller ambitieux, noir et profondément humain, où quatre récits s’entrelacent entre l’Europe et l’Asie. D’un côté, Anja, ex-interprète brisée par la disparition de son mari et de sa fille, tente de survivre dans un Amsterdam glauque, en travaillant comme modératrice de vidéos traumatisantes sur le dark web. De l’autre, Karel Jacobs, l’enquêteur belge déjà croisé dans Le frisson des choses, mène une enquête parallèle tout en portant le poids de ses propres échecs.
À l’autre bout du monde, en Indonésie, deux frères fuient un danger indicible dans la jungle de Sulawesi, tandis que Guntur, policier indonésien, se voit transféré à Bali après une série de meurtres rituels. Autant de fils narratifs qui, peu à peu, se rejoignent dans un entrelacs tendu et profondément immersif.
Une atmosphère dense et envoûtante
Ce roman impressionne par son atmosphère. Chaque lieu, chaque chapitre semble respirer une ambiance bien particulière. Amsterdam est grise, froide, étouffante. Sulawesi, elle, brûle sous un soleil hostile, dans une moiteur presque hallucinatoire. L’autrice joue habilement avec les contrastes géographiques pour créer une tension permanente. On sent la sueur, la peur, le désespoir, la folie parfois – mais toujours avec une écriture précise, sensorielle, jamais gratuite.
Clarence Pitz ne se contente pas de construire une intrigue policière. Elle creuse la psyché de ses personnages, explore leur passé, leur douleur, leurs choix – bons ou mauvais. Le lecteur est autant captivé par l’histoire que bouleversé par ce que traversent ces hommes et ces femmes cabossés.
Un regard fort sur la violence et la mémoire
Ce qui rend Meurs, mon ange aussi percutant, c’est sa manière de traiter la violence. Qu’elle soit intime, institutionnelle, ou rituelle, elle est partout. Mais Pitz évite les effets faciles. Elle prend le temps d’interroger ses racines : dans le chagrin, dans la culture, dans la culpabilité. Le roman explore aussi la question du traumatisme – individuel et collectif – et la manière dont il se transmet ou se tait.
Les traditions toraja, les rites funéraires, les croyances locales ne sont jamais folklorisés. Ils sont intégrés avec respect et sens, comme un miroir tragique des drames intimes que traversent les protagonistes. C’est d’ailleurs dans ce croisement entre spiritualité ancestrale et cruauté contemporaine que le roman touche au plus juste.
Une construction maîtrisée, un souffle romanesque
La construction à quatre voix fonctionne remarquablement. On passe d’un personnage à l’autre sans jamais se perdre. Chacun a sa couleur, son rythme, ses enjeux. L’effet choral apporte une profondeur rare au récit, tout en maintenant un suspense constant. Le lecteur est entraîné dans un puzzle narratif qui se dévoile peu à peu, jusqu’à un final à la fois brutal et poétique.
L’écriture de Clarence Pitz est à la hauteur de son ambition : tendue, élégante, parfois lyrique, toujours juste. Elle parvient à mêler enquête, introspection, et critique sociale avec une redoutable efficacité.
En conclusion : un roman noir en pleine lumière
Meurs, mon ange est une réussite. Sombre, intelligent, profondément humain, ce thriller ne se contente pas de faire monter la tension – il touche, il remue, il interroge. Clarence Pitz s’affirme ici comme une voix incontournable du polar francophone contemporain, capable de conjuguer émotion, engagement et souffle romanesque.
À lire d’une traite, puis à laisser infuser longtemps après avoir tourné la dernière page.