Note : ★★★☆☆½
Une plongée dans la fabrique du chaos moderne
Avec Protocole Chaos, José Rodrigues dos Santos s’empare d’un sujet brûlant : la manipulation des masses à travers les réseaux sociaux et les ingérences numériques dans les démocraties occidentales. Mêlant réalité géopolitique et fiction à peine romancée, il propose un thriller documenté, ambitieux, qui navigue entre la Russie de Poutine, l’Amérique trumpiste, et les rouages de la désinformation mondiale.
Le roman débute sur une scène glaçante : une tuerie de masse retransmise en direct sur Facebook Live… dont le coupable présumé est Tomás Noronha, le héros récurrent de l’auteur. Ce point de départ choc est le déclencheur d’un récit où Tomás est piégé par les services secrets russes (le FSB), manipulé par une vidéo truquée et contraint de collaborer à une mission dont il ignore les implications réelles.
Une construction solide mais parfois trop démonstrative
Le roman est structuré autour de trois fils narratifs : Tomás en mission (plutôt passive), Dimitri – un policier russe devenu agent du FSB – et Leroy, ouvrier américain désabusé happé par les théories complotistes en ligne. Ce trio fonctionne efficacement pour illustrer l’émergence d’un chaos orchestré : celui d’un monde où l’information est une arme et la vérité, une illusion.
La force du roman réside dans sa documentarisation précise : Cambridge Analytica, les fake news, les bulles algorithmiques, le Pizzagate, les manipulations autour du Brexit et de Trump… Tout est là, sourcé, dense, parfois effrayant. On sent l’expertise du journaliste derrière le romancier. Certains chapitres sont de véritables essais déguisés, utiles pour comprendre les mécaniques à l’œuvre dans notre monde ultra-connecté.
Mais c’est aussi ce qui fait la limite du roman : le fond prend souvent le pas sur la forme. Les pages sont nombreuses (plus de 600), les dialogues parfois didactiques, les scènes d’action disséminées. On sort régulièrement du thriller pour entrer dans l’analyse politique, ce qui passionnera certains lecteurs, mais en laissera d’autres sur le bord de la route.
Tomás Noronha, témoin plus qu’acteur
L’un des reproches majeurs concerne le rôle de Tomás Noronha, qui peine ici à justifier sa présence. Habitué à être moteur de l’intrigue, il se retrouve dans Protocole Chaos cantonné à une posture d’observateur. Il analyse, il subit, il suit les événements sans en infléchir réellement le cours. Sa mission tourne court, et même les enjeux personnels liés à sa femme Maria Flor semblent plaqués et sans grande conséquence sur le déroulement.
Son personnage, pourtant central, n’apporte pas de véritable plus-value à l’histoire, qui aurait pu se dérouler sans lui, tant les autres arcs narratifs se suffisent à eux-mêmes. Un comble pour un héros de série.
Un avertissement plus qu’un divertissement
Ce roman se lit moins comme un thriller haletant que comme un manifeste lucide et inquiétant sur l’état du monde numérique et des démocraties contemporaines. En cela, il est percutant, pertinent, voire salutaire. Mais si l’objectif était de proposer un suspense immersif, il manque à l’appel ce souffle narratif, ce frisson d’urgence que l’on attend d’un vrai page-turner.
Verdict
Protocole Chaos est un roman intellectuellement stimulant, géopolitiquement dense, mais littérairement déséquilibré. Il passionnera les lecteurs friands de politique mondiale, de théories informationnelles et de réflexions sur la manipulation de masse, mais frustrera ceux qui espéraient une intrigue tendue et un héros fort.
Un thriller d’utilité publique, sans doute, mais qui aurait mérité un peu plus de nerf et un peu moins de démonstration.